Le retour du kitsch chic : entre brocante et cryptomonnaie
Ils ont ressuscité le canard en céramique.
Non pas pour le poser sur le buffet de Mamie (que d’ailleurs ils n’ont jamais connue), mais pour le vendre en série limitée sur une galerie NFT, estampillé “hyperpop décoratif à message”. Un message qu’on cherche encore, entre l’émail jaune poussin et les hashtags abscons.
Nous voilà donc plongés dans une époque fascinante où le mauvais goût d’hier revient auréolé d’un vernis hype et vaguement militant. On l'appelle kitsch chic — parce que dire “laid” serait trop violent pour l’algorithme. Du grenier au showroom
Ils fouillent les brocantes, mais en jogging de designer. Ils s’extasient sur des napperons synthétiques et des statues de jardin d’un autre âge avec des yeux humides : "Tu vois, c’est tellement moche que c’est bouleversant." Non. C’est juste moche. Et ça pique un peu les yeux.
Mais le kitsch chic ne recule devant rien. Il s’entiche des bibelots surchargés, des lampes coquillage en plastique ou des tasses à motifs floraux “vintage”. (Entendez : récupérées chez Emmaüs pour 1, vendues 27 sur Instagram.) Et parce que rien ne se perd, tout se transforme : un vieux lustre rococo devient "statement visuel", un chien en porcelaine se hisse au rang de “totem décoratif” dans un salon monochrome.
De la déco à l’investiss'ment
Mais attention, on ne se contente plus de poser son kitsch sur l’étagère. Non non. On le tokenise. Une photo bien cadrée, une légende faussement conceptuelle ("Survival of the tackiest") et hop ! mis en vente sur une plateforme de cryptomonnaie, accompagné d’un certificat d’authenticité numérique en cinq langues (dont le klingon).
Les nouveaux marchands du temple vendent donc du kitsch dématérialisé, pixelisé, glorifié. Un bibelot + un filtre granuleux = une œuvre “de rupture”. Et pendant qu’ils dissertent sur l’“esthétique de la nostalgie désorientée”, leur canard en résine se vend à un trader berlinois pour l’équivalent de deux SMIC. Le sarcasme est mort, vive le second degré
Ils ont bien compris que le ridicule ne tue plus. Mieux : il vend. Alors ils collectionnent les nains de jardin, les dessins animés mal dessinés des années 80, les vinyles de Sheila, les couverts en plastique doré et les fresques murales “trompe-l’œil piscine”.
Tout est bon pourvu que ce soit légèrement ringard, vaguement kitsch, et surtout revendiqué comme “manifestement anti-bourgeois”. Ce qui, quand on connaît le prix d’un buffet formica reconditionné par une influenceuse déco, ferait doucement rire… si ce n’était pas si sérieusement monétisé.
Un style ou une farce ?
Mais au fond, ils ne sont pas dupes. Le kitsch chic n’est pas qu’un goût, c’est une posture. Une façon de dire : “regardez comme je suis libre de me moquer des codes, tout en les exploitant jusqu’à la moelle.”
Et dans cette esthétique du trop-plein assumé, on retrouve ce curieux besoin d’être original ensemble. Un besoin bien contemporain, bien lisse, bien photogénique. Presque aussi creux qu’un vase ananas fluo posé sur une commode design, entouré de néons et de discours sur le “rétro-futurisme artisanal”. En résumé
Le kitsch chic est partout.
Il pose, il brille, il clignote. Il vous regarde de travers si vous osez dire que ça ressemble à la salle à manger de votre tante Janine en 1982. Il n’a peur de rien : ni du ridicule, ni de la brocante, ni du minitel. Il a un portefeuille numérique, un compte Instagram, et une ambition claire : réhabiliter le mauvais goût en or digital.
Et à bien y regarder, il y arrive.