Quand le ballon rond rend les cerveaux carrés
C’est devenu une tradition bien française : chaque grand match de foot s’accompagne de ses débordements ritualisés, de ses vitrines explosées, de ses scooters incendiés, et de sa parade de CRS casqués comme des cosmonautes d'une dystopie sécuritaire. Ce soir, finale de la Ligue des Champions oblige, c’est PSG-Inter Milan. Et pendant que les fans s’enflamment, la République, elle, dépêche des légions de gendarmes comme s’il s’agissait de protéger un sommet de l’OTAN sous tension nucléaire.
Des bus entiers de policiers, des hélicos au-dessus de Paris, des arrêtés préfectoraux dans tous les sens, des commerçants qui baissent le rideau plus tôt « au cas où », et les chaînes d’infos qui frétillent d’excitation morbide à l’idée de filmer la première benne à ordures en feu.
Le foot, ce sport populaire, est désormais l’alibi parfait pour tester en conditions réelles la militarisation de l’espace public. Des supporters traités comme des insurgés potentiels, des passants matraqués "par précaution", et des blessés, chaque fois. On ne parle plus d’encadrer la passion, mais de neutraliser la populace.
Le plus absurde, c’est cette résignation générale : « Oui bon, c’est normal, c’est un match important ». Normal ? Depuis quand un but à la 94e minute justifie-t-il de ravager une ville ? Quelle société peut encore accepter ça, en détournant pudiquement le regard ? On interdit les casserolades citoyennes, on gaze les lycéens qui bloquent leur bahut, mais on déroule le tapis bleu aux ultras décérébrés à la première mi-temps venue.
On te vend ça comme du vivre ensemble. En vérité, c’est du tenir ensemble par la peur, sous prétexte de ballon. Une société qui tolère les émeutes pour des scores mais diabolise les luttes sociales a clairement perdu la boussole.
Allez, bon match. Et surtout, bon couvre-feu non déclaré.