Il y a encore quelques années, le mot “woke” évoquait vaguement un état de vigilance. Aujourd’hui, c’est devenu une arme de destruction massive dans les débats de comptoir… et les plateaux de télé. Le wokisme serait responsable de tout : de l’effondrement de la civilisation occidentale à l’annulation de la soirée mousse du lycée. En face, l’anti-wokisme se rêve en vaillant chevalier de la liberté d’expression… à condition qu’on ne remette jamais en question son humour douteux, sa statue coloniale préférée ou sa vision du monde restée coincée en 1954.
Bienvenue dans le duel de sourds le plus stérile du XXIe siècle.
Wokisme : vigilance ou vigilance excessive ?
À la base, le mouvement “woke” partait d’un bon sentiment : rester éveillé face aux injustices, pointer les discriminations systémiques, questionner les normes établies. Mais sur Internet, tout finit par tourner au concours de vertu. Une phrase mal formulée ? On vous “cancel”. Un personnage de roman pas assez représentatif ? On brûle l’auteur. On ne discute plus, on accuse. On ne nuance plus, on exclut.
À ce rythme, il ne restera bientôt plus que des séries produites par algorithmes, où tous les personnages sont à la fois racisés, queer, neuroatypiques, véganes, non-genrés et sans opinion politique. Ce qui est une belle avancée. Pour les robots.
Anti-wokisme : liberté ou nostalgie réactionnaire ?
En réaction, surgit une armée d’anti-woke. Des éditorialistes à mèche blanche, des polémistes à chemise ouverte sur croix en or, et des politiques en mal de buzz. Leur argument favori : « On ne peut plus rien dire. » Ce qui est curieux, puisque ce sont souvent eux qu’on entend le plus.
Ces croisés du bon sens défendent la blague de beauf comme patrimoine national, s'indignent qu’on veuille renommer une rue ou qu’un dictionnaire ose ajouter le pronom “iel”. Ils confondent humour et harcèlement, critique et censure, débat et beuglement.
Et pendant ce temps-là…
Pendant que les wokistes et les anti-wokistes s’écharpent sur Twitter à coups de hashtags enflammés, la planète brûle, les inégalités explosent, et la moitié de la population galère à payer son loyer.
Mais peu importe : ce qui compte, c’est de savoir si une bibliothèque a osé organiser une heure du conte avec un drag queen. Voilà l’enjeu. C’est crucial.
Le vrai problème ? Le spectacle
Au fond, ce n’est pas une guerre d’idées, c’est une guerre de posture. Un théâtre d’indignation permanente, où chacun joue son rôle à la perfection : le “militant éveillé” qui voit de l’oppression partout, et le “résistant gaulois” qui confond liberté d’expression et droit de blesser sans contradiction.
Dans cette pièce mal écrite, il n’y a ni héros, ni vérité. Juste des égos, des micros, et une foule prête à applaudir le clash le plus spectaculaire du moment. Et surtout, à ne jamais remettre en cause sa propre paresse intellectuelle.