Écrire sur le mythe du self-made man est presque un acte d’hygiène mentale collective.
Ce récit viriliste est partout, et il contamine les imaginaires : on le retrouve dans les biographies de patrons, les success stories LinkedIn, les discours de coachs de vie qui parlent comme s’ils vendaient du shampoing dopé à la dopamine.
Le problème, c’est qu’il fabrique une illusion toxique : celle que tout individu pourrait réussir « s’il le veut vraiment ». Autrement dit, si tu n’as pas percé, c’est que tu es mou, paresseux ou pas assez viril. Ce discours efface les inégalités sociales, économiques, raciales et de genre. Il nie les coups de main, les héritages, les réseaux, les soutiens affectifs et tout ce qui, dans la réalité, construit les parcours.
En plus, il enferme les hommes dans un rôle absurde : devoir tout porter seuls, ne jamais demander d’aide, dissimuler leurs doutes comme s’ils jouaient leur virilité à chaque minute. C’est une machine à fabriquer de la honte silencieuse.
Déconstruire ce mythe, c’est rappeler que personne ne se fait tout seul — et que s’appuyer sur les autres n’est pas une faiblesse mais la norme humaine. C’est aussi désamorcer l’idéologie viriliste qui transforme la solidarité en faiblesse et l’isolement en vertu.
Et puis, soyons francs : démonter ce mythe est jubilatoire. Comme montrer que le roi est nu… et qu’il porte des mocassins en cuir molletonné offerts par son oncle PDG. Dans les récits virilistes, il naît déjà bronzé, en costume trois-pièces, une Rolex greffée à la naissance et un CV dans le berceau. Il n’a jamais eu besoin d’aide, de mentor, de réseau, ni même d’un coup de main pour porter ses valises. La légende raconte qu’il s’est hissé tout seul jusqu’au sommet de l’Empire, en marchant sur ses lacets noués avec du courage pur.
Dans la vraie vie, ses « débuts modestes » incluent souvent un héritage, un prêt de Papa et une nounou polyglotte. Mais dans le storytelling viriliste, on coupe les crédits de début et on garde uniquement le plan où il triomphe sur un toit en hurlant « Je me suis fait tout seul ! » sous un drone.
L’homme-orchestre oublie les techniciens
Le mythe du self-made man repose sur une amnésie sélective : celle qui efface les soutiens reçus, les coups de chance, les gens qui ont ouvert des portes ou payé les premiers loyers. Cette fable sert à faire croire que toute réussite serait uniquement affaire de virilité, de couilles en titane et d’insensibilité émotionnelle. On en oublierait presque que les sociétés humaines existent justement parce qu’on s’entraide.
Au passage, ce culte du héros solitaire rend suspect tout signe de vulnérabilité : demander de l’aide devient une faiblesse, alors que c’est littéralement ce qui nous a fait sortir de la savane (avec l’invention de la cuillère et du pot commun).
La réussite n’est jamais un solo
Derrière chaque self-made man autoproclamé, il y a une armée invisible : des proches, des collègues, des profs, des fonctionnaires, des livreurs, des femmes qu’il remercie dans ses mémoires en post-scriptum. La réussite n’est jamais individuelle, c’est une symphonie collective — même si certains préfèrent se croire rockstars en solo.
Bref : le self-made man est surtout un personnage de fiction. Et comme tout personnage de fiction, il gagne à être rangé sur une étagère, entre les contes de fées et les super-héros en spandex.