Vous pensez qu’il faut « s’imposer comme un mâle alpha » pour réussir ? Désolé de briser vos illusions, mais cette idée fumeuse n’a strictement aucun fondement scientifique. Et c’est un éthologue — un vrai, avec blouse blanche et tout — qui vous le dit.
D’où vient cette lubie de l’alpha ?
Tout commence dans les années 1970, avec un chercheur du nom de Rudolf Schenkel. Il observe des loups en captivité et croit y repérer une hiérarchie dominée par un « mâle alpha ». L’idée fait son chemin, est reprise par David Mech dans un ouvrage devenu culte : The Wolf: Ecology and Behavior of an Endangered Species (1970).
Mais — plot twist — David Mech lui-même a reconnu s’être trompé. Il a passé les décennies suivantes à expliquer que ses conclusions étaient fausses. Les meutes de loups dans la nature ne sont pas des bandes de gros durs : ce sont des familles. Le soi-disant « alpha » est juste le papa loup. Voilà.
Ce que disent les vraies études
Chez les bonobos, c’est maman qui commande. Les conflits sont désamorcés par des gestes affectueux, parfois très tactiles, et la coopération prime sur la compétition.
Chez les chimpanzés, les chefs ne sont pas ceux qui tapent le plus fort, mais ceux qui savent fédérer, partager, négocier. Le gorille enragé qui veut tout dominer finit isolé, voire expulsé.
Et chez les humains, toutes les études sérieuses le montrent : le leadership émerge dans les sociétés traditionnelles non pas par la force, mais par la confiance, le charisme et la sagesse collective. On est très loin du fantasme du mâle dominant.
Quand les masculinistes recyclent les bêtises
C’est là que les choses deviennent moins drôles.
Le fantasme du mâle alpha n’a pas seulement survécu à sa démystification. Il a été récupéré, instrumentalisé, et radicalisé par tout un pan de la sphère masculiniste. Ces prédicateurs de virilité toxique pullulent sur YouTube, TikTok, X (ex-Twitter), dans des vidéos où l’on t’explique, entre deux pompes, que les femmes ont détruit la société, que les vrais hommes doivent reprendre le pouvoir, et que « l’Occident se féminise ».
Ce discours n’est pas seulement ringard. Il est dangereux. Il alimente le ressentiment, le rejet de l’égalité, et le mépris des sciences sociales. Il s’intègre comme un rouage idéologique dans les théories complotistes : celles qui affirment qu’une élite mondiale manipulerait les hommes pour les rendre faibles, dociles, ou même stériles (merci les vaccins, hein).
Les liens entre les sphères masculinistes et les mouvances complotistes sont bien documentés. On les retrouve chez des influenceurs d’extrême droite, dans les recoins les plus sombres de Reddit et Telegram, où les mots « virilité », « soumission », « ordre naturel » se conjuguent volontiers avec « grand remplacement » ou « dictature sanitaire ».
Et tout ça à partir d’un mythe zoologique erroné. Cocasse, non ?
Le poids des coachs testostéronés
La virilité alpha est aussi une industrie. Elle vend du rêve sous forme de formations payantes, de pilules miracles, de stages de « réveil primal ». Des jeunes hommes en souffrance affective ou sociale s’y accrochent, pensant y trouver des réponses simples à des problèmes complexes. On les abreuve de vidéos, de discours binaires, de modèles masculinistes qui tiennent plus de la parodie que de la biologie.
La science, elle, dit autre chose : que l’humain est un animal social, coopératif, culturel, dont la force ne réside pas dans la domination, mais dans l’adaptabilité.
Une bonne fois pour toutes
Non, il n’y a pas de hiérarchie naturelle des mâles. Non, les loups ne se battent pas pour être alpha. Non, l’homme n’est pas un gorille qui a appris à coder.
Le mâle alpha est un fantasme entretenu par l’ignorance, le marketing, et les dérives idéologiques. Une jolie fable pour ceux qui refusent de regarder le réel en face. Mais pour ceux qui préfèrent la science à la sueur viriliste, il est temps de passer à autre chose.